Fait du bien de changer de registre. Je décroche un peu du roman et m'éloigne du couple, disons... traditionnel
!
C'est pas fabuleux mais ça détend !
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Il y avait un être pris au piège en moi.
Je n’étais pas unique. Je n’étais pas un. J’étais les deux moitiés de moi ; ces deux moitiés à la fois.
Dans le monde où je vivais, dans cet endroit d’où je viens, hommes et femmes sont tous destinés l’un à l’autre. On ne peut être seul toute sa vie. On finit immanquablement par rencontrer son binôme. C’est ainsi.
Je n’étais pas fait comme cela. Deux êtres de lumière se disputaient mon corps. J’étais une malédiction pour les miens. Cela ne s’était jamais vu. De connaissances en connaissances, de sources fiables en données indiscutables, la chose fut bientôt connue de tous. Je n’étais pas comme les autres. Je portais en moi mes deux moitiés. C’était inconcevable.
Il fut décidé que je serais mis à mort.
Ceci devait régler le problème une bonne fois pour toutes. Nos croyances étaient telles que le meurtre n’existait pas chez nous. Nos corps se corrompaient au moment de notre trépas mais notre forme céleste ne mourait pas. De nouvelles enveloppes nous étaient données et, toujours, nous revenions sous une nouvelle apparence, à la recherche de notre moitié perdue.
C’était le fondement même de notre religion. Nous ne venions au monde que pour nous chercher, nous trouver et nous aimer. Nous n’étions qu’amour… et indifférence.
Le sort des autres ne nous importait pas. Il nous fallait notre moitié, celle pour laquelle nous avions été envoyé. Le reste, le monde qui nous entourait, les formes de vie inférieures, les autres, tout cela n’était rien.
Le jour qui avait été choisi pour mon passage, je me débattais tel un damné pour éviter l’assassinat. Nous sommes des êtres résignés : lorsque l’un des deux membres du couple disparaît, l’autre doit le suivre pour renaître en même temps que lui. Il est inconcevable d’être séparés au moment du retour. La mise à mort est le moyen choisi par mon peuple pour palier à cette éventualité.
C’est un rituel très codifié. Des êtres de lumière vivent dans notre enveloppe de chair, nous devons donc périr par elle.
Ils m’ont mené tout en haut de la colonne de pierre, celle sur laquelle on enchaîne celui ou celle qui doit changer de vie. Enchaîné, sans aucune chance de pouvoir me libérer, sans aucun espoir de sursis, je devais attendre que la foudre vienne me frapper en plein cœur afin de libérer les âmes prisonnières de mon corps.
Je ne voulais pas mourir. J’étais heureux, ainsi. Heureux d’être différent. Heureux de ressentir le souffle de la liberté et non pas le poids de la servitude qui écrasait tous ceux de ma race. Car, lorsque l’amour n’est plus une quête mais un dû, que peut-il bien avoir à nous apporter ?
Je ne voulais pas mourir mais la foudre est tombée.
Pourtant, j’ai gagné.
Oui, j’ai gagné ma liberté. Aujourd’hui, je renais, je reviens à la vie. En ce jour anniversaire de mes quinze ans, celui où nous apprenons l’identité de celui qui nous est destiné, j’ai croisé mon regard dans le miroir de vérité.
Mes yeux, assombris de désirs inavoués, se sont posés sur mes lèvres et les ont regardé se mouvoir tandis qu’elles prononçaient mon nom. Ce nom que m’ont donné les miens lorsque je suis revenu dans leur monde. Ce nom adoré qui sera bientôt abhorré de tous, car je suis différent, car je suis unique, car je suis moi.
Narcisse.